Il était une fois… la RSE

2025-01-17 | by Nicole Fomékong
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Cela aura pris du temps
Les alertes ne datent pas d’hier : romans, essais, articles, interviews… A travers tous les canaux de communication à disposition selon les époques, des citoyens éclairés ou tout bonnement observateurs attentifs, romanciers, philosophes, se sont interrogés sur le modèle économique et sociétal dans lequel ils évoluaient et qui leur semblait dérégler les systèmes naturels. Ces citoyens se sont interrogés sur les impacts de systèmes artificiels sur les systèmes naturels, sur les impacts des systèmes élaborés par les êtres humains sur les écosystèmes. Agriculture intensive versus santé et résilience des sols, épandage chimique versus survie des oiseaux ou des insectes, déforestation versus mécanique des sols, capitalisme libéral versus bien-être des individus.
Ainsi, dès 1944, Aldous Huxley écrivait :
(…) en ce qui concerne les ressources naturelles, nous sacrifions à l’avidité présente un avenir qu’il est possible de prédire avec exactitude. Nous savons par exemple que si nous abusons du sol, il perdra sa fertilité ; que si nous massacrons les forêts, nos enfants manqueront de bois et verront leurs terres hautes emportées par l’érosion, leurs vallées balayées par les inondations. Nous continuons néanmoins à abuser du sol et à massacrer les forêts. En un mot, (…) nous immolons l’avenir au présent. » (L’Eternité retrouvée)
Fait significatif, le frère de l’auteur, Julian Huxley, sera le cofondateur de WWF en 1961.
Bien plus tôt, en 1855, à l’occasion de l’Exposition universelle, un livre allait faire beaucoup de bruit : « Alors que cinq millions de visiteurs arpentaient le Palais de l’industrie, le but de Huzar était manifestement de provoquer. Et il réussit fort bien : toutes les grandes revues donnèrent des recensions de son livre, extrêmement élogieuses pour la plupart. Des écrivains tels Lamartine, Dickens, Flaubert ou Verne, ont lu La Fin du monde par la science et y ont fait référence. »
Où il est question notamment « de la déforestation et de ses conséquences climatiques, (…) de l’industrie chimique et de la transformation de l’atmosphère ». (« L’Apocalypse joyeuse », Une histoire du risque technologique, Jean-Baptiste Fressoz, 2012)

Encore plus tôt, en 1820, Saint-Simon prônait la responsabilisation des industriels et des philanthropes. Au début de l’industrialisation, Saint-Simon n’envisage cette dernière que comme un moteur de progrès social, à la condition de se donner pour but l’amélioration du bien-être des prolétaires. Ce qui sera appelé « Nouveau Christianisme » repose alors sur des « considérations morales, le culte et le dogme n’étant là que pour fixer l’attention des fidèles sur la morale, axée sur la fraternité et sur le progrès matériel et spirituel de l’espèce humaine. » (source : Wikipédia). En contrepoint, Charles Fourier critique cette nouvelle société, « qu’il qualifie « d’anarchie industrielle : à Marseille, il avait été obligé par son patron de jeter des sacs de riz à la mer afin d’en maintenir le prix ». Ce philosophe « promeut plusieurs idées très innovantes dont la création de crèches, l’une des premières tentatives de libération de la femme. Selon lui, « les progrès sociaux s’opèrent en raison des progrès des femmes vers la liberté et les décadences d’ordre social en raison du décroissement de la liberté des femmes ». C’était 1820… Se posait alors déjà l’évidence des progrès de la condition féminine, condition sine qua non du progrès social.

Le facteur humain
Surexploitation des ressources naturelles, industrie chimique… et l’homme et la femme également comme sujets d’études. De Zola à Dickens, les maux de la révolution industrielle sont amplement analysés. L’être humain est aussi au centre des préoccupations. Ainsi, très tôt, le lien est fait entre, par exemple, le progrès d’une part, la préservation des ressources de la nature et le bien-être des générations actuelles et futures d’autre part. Dans cette nouvelle société dite industrielle apparait la notion de responsabilité sociale des nouvelles classes dirigeantes. Responsabilité quant aux déséquilibres des écosystèmes, responsabilité quant à la paupérisation des classes industrieuses, à la malnutrition, aux maladies liées à leurs conditions de travail.
Des questions sont posées, issues d’une observation directe, emplie de bon sens. Ces observations se complexifient et s’enrichissent avec l’apport d’experts. De nouveaux métiers apparaissent -à ce titre, il est étonnant de voir que ces nouveaux métiers sont apparus très tôt, à partir des années 1960, preuve de leur utilité, mais que malgré cela les actions concrètes n’ont pas suivi. A quoi sert, finalement, cette somme de connaissances et d’expertises ? A se faire peur ? Pour cela, un bon film de série B suffirait. Alors quoi ?

En 1953, l’économiste américain Howard Bowen publie Social Responsibilities of The Businessmen (SRB) et donne ce qui est reconnu comme la première définition de la RSE : « La liberté unique de prise de décision économique dont bénéficient des millions d’hommes d’affaires privés (…) est injustifiable si elle est uniquement favorable aux managers et aux propriétaires de l’entreprise ; elle ne peut être justifiée que si elle est bonne pour l’ensemble de la société.» Les choses se précisent. Les couteaux s’aiguisent. Au début des années 60 s’opposent deux pensées, symbolisées par deux figures emblématiques : Rachel Carson et Milton Friedman. Alors que la première écrit : « Comme le dit Jean Rostand, l’obligation de subir nous donne le droit de savoir », le deuxième répond : « la seule responsabilité (sociale) des dirigeants d’entreprise est d’assurer à leurs actionnaires un maximum de profits. »

L’une comme l’autre eurent une influence énorme et ce jusqu’à aujourd’hui. Tous deux parlent notamment de cette notion de partie prenante et de prise en compte des besoins et attentes de de toutes les parties prenantes dans toute décision censée l’affecter. Or, comme le dit l’adage, tout est question de point de vue. Mais il est important de constater que la RSE s’ancre dans le réel, qu’elle se construit autour de problématiques sociales, environnementales et économiques. Dès le début, la RSE s’entend comme tentative de rééquilibrage.
Comment être, pour ne pas « ne plus être » ?
Face à l’inertie, voire l’incurie, voire la négligence égotiste de certains acteurs uniquement préoccupés de profits individuels, le citoyen a saisi le mégaphone et s’est mis à donner de sa voix. Les années 70 puis 2010, seront les premiers points d’orgue de la protestation sociale. En effet, pour certains des acteurs uniquement préoccupés de leurs intérêts privés, gérer les questions liées à l’environnement consistait à gérer des pollutions devenues par trop visibles aux yeux du grand public : des rejets d’eaux usées polluants les cours d’eau environnants, par exemple. C’était une gestion quasi locale, rassurante. Il fallait aussi pouvoir répondre de manière convaincante à une pollution de l’air par trop évidente. Car lorsque les yeux piquent ou que l’odeur écœure, le citoyen proteste. Les échos pouvaient alors se répercuter au-delà du local, l’onde de choc être plus meurtrière pour l’entreprise. Bref, rapidement, presse écrite et télévision oblige, la réputation et la pérennité des activités de l’entreprise sont en jeu. D’autant plus dans un monde mondialisé devenu cette immense caisse de résonance que nous connaissons aujourd’hui. Les enjeux ne peuvent plus s’isoler et se privatiser. La RSE devient stratégique.

Nous n’avons que peu d’éléments de réponse à la question initiale : A quoi sert cette somme de connaissances et d’expertises, cumulées depuis un siècle ? Pourquoi attendre de se retrouver en train de glisser inexorablement le long des parois du précipice pour réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour ne pas tomber dans le gouffre ? N’est-ce pas un peu tard ? (Nous posons la question, sans y répondre ici. Mais la question est passionnante, clairement effrayante).
En 2020, cela se traduisait par : comment survivre au COVID-19 ? Plus généralement, comment vivre décemment tout en préservant les ressources naturelles d’une planète dont nous dépendons ? Comment utiliser les ressources naturelles nécessaires à ma vie de tous les jours sans épuiser ces mêmes ressources, sous peine de me retrouver moi-même en danger ? Comment ne pas empoisonner l’air que je respire ? Comment vivre décemment, manger, respirer, avoir un toit, me déplacer, sans polluer l’atmosphère, le sol et les réserves d’eau de la planète, éléments dont je dépends pour ma survie biologique ? Bref : comment être, pour ne pas ne plus être ?

La RSE comme réponse
Comme rappelé, depuis l’avènement de la société industrialisée, être, au sens d’exister en tant qu’individu, est étroitement lié au travail et à l’entreprise. La manière dont nous vivons dans la sphère privée est également liée au travail et à l’entreprise, ne serait-ce que par la consommation de biens produits par l’entreprise. Or, dès les prémices de la réflexion écologique, l’entreprise est considérée comme la cause et le symptôme : cause de pollutions, symptôme d’une société de consommation (dans sa définition la plus abrupte, la plus étroite : consommer d’abord, envers et contre tout). Dès les tout débuts de l’ère industrielle, les observateurs attentifs ont décrit les travers de l’entreprise -exploitation des ressources naturelles, paupérisation, exploitation des individus, puis ont progressivement proposé les solutions aux maux que l’entreprise générait.
L’entreprise fait le choix de pratiques de travail ayant un impact direct sur la vie de l’individu. L’entreprise fait également le choix de pratiques en matière d’utilisation des ressources naturelles et de gestion des déchets qu’elle génère. Quels en sont les impacts pour les organismes vivants : l’individu, la faune, la flore ? L’entreprise consomme ou produit des substances chimiques. Comment les gère-t-elle et quels sont les impacts pour les organismes vivants ? Sur ces différents aspects, le cadre légal est devenu indéniablement plus contraignant sur les volets environnement et social (santé & sécurité de l’individu par exemple).
Cependant, au-delà du cadre légal, la RSE réaffirme depuis les années 2000 et notamment depuis 2010, date de parution de la norme ISO 26000, l’importance de l’innovation et de la recherche. Adapter une démarche RSE n’est pas se conformer au cadre légal. C’est se donner une raison d’être, sur le plan vertueux, humaniste et écologiste du terme. C’est, étrangement, bien que très naturellement, revenir aux questions originelles de Saint-Simon, Fourier ou Huzar : comment respecter l’homme, les animaux et la nature ? Ce que l’on désignait au 19e siècle comme une pensée humaniste empreinte de religiosité, séduisante et dogmatique, est devenu en 2015 les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU. Comme quoi il est possible de se perdre en chemin, de s’arrêter, regarder autour de soi et d’accepter de revenir sur ses pas. Avec toute la connaissance accumulée en chemin. Consolation ?
